La dérive de Philippe Terrier-Hermann

La dérive, comme l’indique son titre, n’est pas un road movie. Pour qu’il y ait road movie, il faut qu’il y ait route, moteur et bruit. Ici, deux étudiants de bonne famille qui font du canoë sur un affluent de la Seine rencontrent deux êtres sans attaches avec pour tout moyen de transport un radeau et pour objectif, celui de descendre au fil de l’eau, traverser Paris et continuer au-delà, vers la mer puis l’océan.
Philippe Terrier-Hermann, photographe de formation, est un iconographe, un artiste qui ausculte les représentations archétypales du pouvoir, de la réussite et de la beauté. Il n’en propose pas une déconstruction mais explore ces imageries obsédantes produites par la société. Avec La dérive, son propos se fait plus complexe, se dialectise. Sans doute parce que le point de départ de ce film est une image qui hante depuis longtemps la psyché du réalisateur : celle d’un tableau d’Evariste Vital Luminais, Les énervés de Jumièges (1880). Philippe Terrier-Hermann “déplie” ici ce tableau à l’esthétique symboliste et qui représente deux jeunes hommes dérivant sur un radeau avec pour toute vigie la flamme d’une bougie qu’aucun souffle ne paraît pouvoir éteindre.
Le tour de force de La dérive est d’accoupler deux dimensions esthétiques différentes : celle du début du film qui commence comme du pseudo-Rohmer, vite noyée dans une attente inconsciente qui confine à l’ennui (ça pourrait être aussi un début de film porno). Et celle qu’amènent avec eux les deux inconnus au laisser-aller sophistiqué.
À partir de cette rencontre hasardeuse de deux univers hétérogènes, le film et le spectateur entrent en hypnose. Bien que des paroles banales soient échangées, c’est vers un au-delà du sens et de l’existence terrestre qu’il semble falloir se diriger. Ce qu’amplifie, au coeur du film, le monologue d’inspiration “bataillienne” porté par celui des deux inconnus dont il est dit qu’il est un prince.
Avec une grande singularité de ton et un dépouillement formel, La dérive se présente comme un caprice mystique qui oblige le spectateur à aller là où les contraires se recomposent entre eux. Et à trouver naturelle une bande-son où le bruit de l’eau et celui d’un feu qui crépite finissent par se rejoindre.

François Bonenfant

La dérive, France, 2009, Beta SP, couleur, 60 mn.?Réalisation et production : Philippe Terrier-Hermann. Dialogues : Matthieu Orléan. Image : Arnold Pasquier. Son : Greg Le Maître. Montage : Jean- Paul Leclère. Interprétation : Simon Buret, Andy Gillet, Dimitri Capitain, Charles Delpon, Roxane Mesquida, Brady Corbet, Christian Tual et Diane de Beauveau.